LCDM : Stuck In the Middle

LCDM : Stuck In the Middle

27 février 2020 0 Par pertinence.retinienne

Un article un peu spécial pour ce mois de Février puisque ce court métrage n’est pas réalisé par un ou deux réalisateurs mais par 6… J’en ai interviewé quatre qui vous parlent ci-dessous de leur expérience sur leur film de fin d’étude à l’école SUPINFOCOM de Valenciennes !

Interview : Rencontre avec Cécile, Romain Denis et Léo, Co-réalisateurs de STUCK IN THE MIDDLE

Cécile Minaud

Romain Marchetti

Denis Fleurion

Léo Nezot

Quentin (PR) : Salut à tous les quatre ! Merci de prendre du temps pour partager votre expérience sur Pertinence Rétinienne. Dans un premier temps pourriez-vous vous présenter et nous dire deux mots sur votre parcours ?

Cécile : Salut, alors je m’appelle Cecile Minaud, j’ai 24 ans. Tout comme mes collègues ici présents, je sors d’une école d’animation 3D  : SUPINFOCOM. Le cursus est organisé en 5 ans, et notre dernière année est consacrée exclusivement à la production d’un film en équipe, généralement 6 personnes. On a été diplômés en juillet 2018, et je travaille depuis dans un studio d’animation à paris, Mac Guff Ligne, où je fais du Rig [une étape de production en 3D qui permet de donner du mouvement au personnage avant l’animation]..

Romain : Romain, 29 ans, je travaille actuellement en tant que Freelance en arts numériques (montage, Fx, animation, illustration,…), je fais également partie du studio collectif d’arts visuels Original Cosmic, ainsi que de l’association Cellofan’ sur Lille, qui fait de l’éveil et de la formation à l’animation. Après mes études à Supinfocom, j’ai choisi de ne pas rentrer dans les gros studios d’anim 3D pour garder une indépendance sur le contenu de mes projets.

Denis : Denis, 28 ans, également freelance en arts numériques (animation, illustration, montage, préprod…). Je travaille d’ailleurs avec Romain pour le studio Original Cosmic. J’ai intégré SUPINFOCOM directement en 3ème année car j’avais travaillé auparavant quelques temps au Studio TrainTrain. Je suis dans la même démarche que Romain vis à vis de l’indépendance de mes projets.

Léo : Léo, j’ai 25 ans et je suis pour ma part  illustrateur freelance pour particuliers. Je fais également parti de ceux qui avaient envie de garder une certaine indépendance dans leur travail en sortant de SUPINFOCOM, C’est ce qui m’a amené à établir mon business en tant qu’auto entrepreneur.

Q : STUCK IN THE MIDDLE est donc votre film de fin d’étude à SUPINFOCOM. Pourriez-vous nous présenter votre école et les conditions de productions dans lesquelles vous avez réalisé ce court métrage ?  

Cecile : L’avantage énorme de notre école fut que nous avions accès à du matériel professionnel : notamment des ordinateurs et des licences de logiciels qui peuvent être très coûteuses, mais aussi des serveurs pour nos calculs d’image, une salle d’enregistrement pour les voix, etc. Produire un film à seulement 6 personnes c’est un gros challenge. Si le matériel ne suit pas, on peut perdre un temps énorme ! En animation, et particulièrement en 3D, le pire ennemi c’est le temps. On ne peut pas éviter les temps de rendus, juste les optimiser au maximum. Mais sans un matériel et une gestion efficace, les durées de temps de calcul explosent et c’est une course contre la montre pour atteindre nos deadlines. Quoi qu’il en soit, nous sommes conseillés et entourés par des intervenants tout au long du projet pour nous guider au maximum. C’est à nous ensuite de faire attention que nos intentions artistiques soient respectées jusqu’à la fin.

Romain : Je rajouterais pour ma part que l’école est un bon catalyseur d’idées et d’univers créatifs car c’est un gros campus de 750 étudiants qui contient un pôle design et jeux vidéos. On est exposé aux travaux et projets des uns et des autres en permanence. Pour ma part, le support des intervenants nous a été d’une aide précieuse. On nous disait souvent: “ça va coûter trop cher, on n’a pas le budget” au lieu de : “c’est trop ambitieux, c’est pas réalisable” pour nous mettre en situation de production.

Denis: Il n’y a techniquement pas de budget, car comme l’explique Cécile, tout le matériel est déjà sur place prêt à l’emploi. Le seul budget qui existe à ma connaissance, c’est celui alloué à la production musicale des films de fin d’étude. Cela représente une enveloppe de 400€, pour payer un éventuel compositeur, ou acheter une chanson bien particulière d’un artiste précis. Autant dire que ce n’est pas énorme. Mais nous avons aussi accès à une banque musicale payée par l’école.

Léo : La plus grande contrainte est effectivement le temps. L’école nous pousse très tôt (par plusieurs projets à plus petite échelle, tout au long de la formation) à planifier, identifier les plus gros obstacles dans un projet et évaluer l’effort nécessaire à la réalisation d’un film ou d’un court métrage. Le matériel disponible évolue également au fil de la formation pour finalement nous offrir un serveur dédié et des machines plus performantes en dernière année, afin d’accélérer le processus.

Q : Une des caractéristiques du film, c’est que vous êtes 6 “co-réalisateurs”. La co-réalisation est toujours un exercice difficile, comment s’est passé l’écriture et comment vous êtes vous réparti le travail de réalisation ?

Cécile : Au tout départ, nous avions un scénario proposé par Denis, un scénario qui n’a pas grand chose à voir avec notre film actuel.  Les équipes ont été faites en fonction de nos spécialités, car chaque étape de productions d’un film 3D nécessite des talents très différents. Mais notre ancien scénario a été censuré par l’équipe pédagogique, et ça a été un choc pour nous. Nous avions préparé des storyboard, des tests, des images de recherches graphiques etc. Mais tout cela a été jeté 3 semaines avant la fin de notre 4e année d’étude. Nous avons donc décidé de repartir de rien. 

On s’est réuni dans une salle, pendant 2 jours nous avons trouvé une idée tous ensemble lors d’un brainstorming, puis Denis et Romain ont rédigé un scénario avec l’aide de notre professeur de narration. On validait tous chacune des étapes de création jusqu’à représenter ce nouveau film devant nos professeurs. Cette méthode est restée à peu près la même lors de la production, où on avait chacun un mot à dire sur l’aspect artistique du film. Mais l’aspect purement technique restait tout de même à la charge de la personne ayant les compétences dans l’étape. Donc les animateurs gèrent leur travail, moi j’avais la charge du planning et des aspects techniques du film etc.

Romain : Cécile a bien résumé la chose. Ca n’a pas été facile de garder une ligne conductrice et une direction artistique claire, ça a donné lieux à beaucoup de débats et de réunions. Je pense cependant que ça a rajouté de la richesse au film et à notre façon à chacun d’appréhender sa position et son comportement lors des travaux de groupe : respecter les idées de chacun et ne pas trop prendre de place en ce qui me concerne.
Pour ma part j’ai travaillé sur le scénario, les dialogues, la modélisation, le lighting, l’environnement et le compositing.

Denis : Oui Cécile a très bien résumé la situation, nous avons quasiment perdu 8 mois de travail (compte tenu de l’écriture du projet en solo avant d’intégrer l’équipe) sur un projet sensé durer 1 an et demi… Quand nous avons mis en place le projet Stuck In The Middle, dans l’urgence, nous travaillions littéralement tous ensemble, il n’était plus possible de simplement cloisonner les rôles et dire “je suis LE réalisateur !”, nous sommes tous à l’origine de ce film, pas de simples techniciens participants.

Léo : Ce film est en effet le résultat d’une collaboration totale entre tous les membres de l’équipe. Malgré le fait que cette dynamique peut ralentir le rythme de travail et nous forcer à beaucoup nous concerter très tôt en production, cela nous a aussi permis d’enrichir le film, de nous poser les bonnes questions, et de confronter le scénario à toutes nos opinions, aussi variées soient-elles, afin de considérer chaque option possible. Notre panel de compétences était tout aussi varié, ce qui nous a permis de répartir les tâches très facilement, en fonction de nos affinités. Etant très fan de visuels 2D, je me suis occupé du storyboard, concept art et texturing.

Q : Je vois que l’écriture du scénario a été compliquée. Au final, qu’avez-vous voulu exprimer dans cette histoire ? Que représente pour vous ce drôle d’auto stoppeur au physique singulier ? Pourquoi ce choix de créer des personnages francophones dans un paysage américain ?

Romain : A la sortie du brainstorming après la censure du précédent projet, on avait une idée en tête : exprimer notre frustration quant à cette décision qui nous paraissait injuste. On avait le contexte, un road movie fantastique, et voulions donc reprendre les codes du genre: le désert américain (Duel, Natural born killers, Mad Max…). On avait un pitch: une entité mystérieuse qui sème la discorde au sein d’un groupe d’amis. Nous l’avons incarné en la personne de notre directeur pédagogique, qui a pris en partie la décision de la censure du film de Denis. 
Le fait que les personnages soient français nous a donné l’occasion de nous sentir plus proches d’eux mais aussi de faciliter l’écriture des dialogues. Cela permettait un contraste de décalage entre les personnages et leur univers, le même décalage que nous ressentions vis-à-vis de notre école.

Denis : Je n’aurais pas mieux expliqué, Romain a tout dit.

Q : D’un point de vue technique, avec quel logiciel avez-vous travaillé ? Il me semble qu’en animation, faire parler ses personnages est toujours une étape difficile, c’est ambitieux pour un film de fin d’étude. Vous pouvez nous en parler ?

Cecile: Dans une volonté artistique, on avait décidé de faire un film parlant car ça collait plus à l’univers qu’on cherchait. Donc ça a nécessité des sessions d’enregistrements, puis d’accorder l’animation au voix

Romain : Voici un petit récapitulatif des différents logiciels utilisés pour le film. Tvpaint et Photoshop pour la partie préprod/story. Ensuite Maya pour le “core”: modélisation, shading, lighting, rig, plus le plugin MASH pour l’environnement. Le moteur de rendu Arnold, ensuite le logiciel de sculpt Zbrush, celui de textures substance painter, le logiciel de compositing Nuke, et enfin AVID pour le montage/ montage son. 
Pour ma part, en ce qui concerne les dialogues, je peux surtout parler de l’écriture, la difficulté étant de proposer quelque chose de crédible, c’est pourquoi on a écrit des lignes d’intention qui ont été revisitées par les comédiens qui ont doublé les personnages, ce qui a apporté leurs personnalités aux dialogues. 
Les dialogues peuvent aussi grandement servir le propos du film. Par exemple, le personnage qui parle beaucoup meurt en premier, ce qui crée un changement net d’ambiance dans la voiture…
Pour l’anecdote, le film qui est raconté au début dans la voiture est le pitch du projet avorté de Denis..

Léo : Le film a tout d’abord été imaginé sans aucun dialogue, nous reposant sur les sons d’ambiance et l’acting de personnage afin de communiquer notre propos. Cependant, il s’est très tôt avéré plus juste d’illustrer la camaraderie entre nos personnages et leurs caractères trempés à travers des dialogues réalistes. Non seulement pour créer de l’empathie, mais pour ensuite créer un contraste glaçant une fois leur disparition, et laisser place au silence en fin de film. 

Denis: Romain et moi avons écrit les dialogues avec cette idée “tarantinesque”, arriver à créer une atmosphère de potes cohérente sans que le spectateur n’ait à comprendre toutes les conversations, connaître leur commencement ou leur fin. C’est toujours compliqué de sentir le naturel dans un dialogue, cela peut très vite sonner faux. Nous avons donc eu l’idée de faire interpréter ces voix par des amis rappeurs (dont Julien Adoum qui faisait déjà partie de la team). Nous leur avons donné la liberté de transformer leurs textes, pour qu’ils paraissent plus spontanés, plus francs. Il y a une petite vidéo de la session d’enregistrement sur notre page facebook. Quoi de mieux qu’une personne qui sait manier les mots et le rythme tel qu’un rappeur pour ce genre de tâche ? (un acteur ? ah oui c’est vrai… on avait pas les connexions pour ça). Pour revenir sur la difficulté d’animer le labial, nous avons structuré l’intrigue de manière à ce qu’il y ait de moins en moins de personnages, mais aussi qu’ils parlent de moins en moins. Ce qui permet d’alourdir et intensifier l’atmosphère comme on le souhaitait, tout en nous enlevant une bonne dose de travail quant au lipsync [synchronisation labiale].

Q : Merci à tous les quatre d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Avant de se quitter, pourriez-vous me parler de vos projets en cours ou en préparation ? Allez-vous poursuivre cette expérience en tant que réalisateur ? 

Romain : Actuellement je prépare avec Cellofan’ un atelier de pixillation pour le festival Séries Mania à Lille. J’aide aussi Denis pour l’habillage d’un clip qu’il réalise pour un rappeur Lillois. Je compte bien rester indépendant jusqu’à ce qu’Original Cosmic devienne pérenne et puisse embaucher ses freelance en tant que salariés ou bien monter ma propre structure plus tard, pourquoi pas ?
Merci à toi de l’intérêt que tu portes à notre film !

Léo : Aucun projet en particulier, je compte d’abord concentrer mes efforts sur mon statut de freelance afin de pouvoir vivre de ma passion confortablement. A très long terme, peut être un nouveau film en solo, que ce soit en 2D ou 3D ! Un grand merci à toi pour cette interview. 

Denis : La prospection du côté de notre studio Original Cosmic a commencé, donc on guette des projets plus ou moins animés, plus ou moins gros. Personnellement, ça ne me dérange pas d’avoir le rôle de simple technicien sur certains films, mais après quelques mois revient vite l’envie de créer et d’avoir un certain contrôle sur la réalisation. Comme l’explique Romain, je travaille actuellement sur un clip pour un rappeur Lillois, animé en 2D. Merci pour tes questions, c’était bien cool d’y répondre !

Cecile : Je travaille depuis un an dans un studio d’animation, donc pour le moment c’est pas prévu de reprendre du travail de réalisation, mais si l’occasion se présente, pourquoi pas bosser sur des plus petits projets, c’est pas la même échelle et c’est toujours assez plaisant d’avoir un mot à dire sur le scénario et les aspects artistiques.

 

Q.