SKHIZEIN de Jérémy Clapin – Le Court du Mois

SKHIZEIN de Jérémy Clapin – Le Court du Mois

10 novembre 2019 1 Par pertinence.retinienne

SKHIZEIN de Jérémy Clapin

Je suis très, très, très heureux ce mois-ci de vous faire découvrir ce superbe court-métrage, Skhizein de Jérémy CLAPIN. Tout d’abord car j’ai découvert ce film lorsque j’étais au lycée et ça a été une vraie révélation ! Aucun doute qu’il a eu une grosse influence sur moi par la suite. Et deuxièmement, son auteur, Jérémy CLAPIN sort cette semaine son premier long-métrage au Cinéma, J’ai perdu mon Corps. Produit par DARK PRINCE, je vous laisse découvrir cette « pépite ».

INTERVIEW : Rencontre avec Jérémy CLAPIN, réalisateur de Skhizein

 

Jérémy CLAPIN, réalisateur de Skhizein

Quentin (PR) : Bonjour Jérémy ! Je suis très honoré de pouvoir partager aujourd’hui ton court métrage, Skhizein ! Avant de parler du film, pourrais-tu te présenter en quelques mots pour les lecteurs ?

Jérémy : Je suis né en 1974. J’ai grandi en proche Banlieue de Paris. J’habite toujours en banlieue d’ailleurs. Après un bac scientifique j’ai bifurqué vers des études artistiques à l’école Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD). C’est une école pluridisciplinaire ; j’ai étudié le graphisme, la typographie, l’illustration, la photo, la sérigraphie et un peu l’animation. Et puis un jour, j’ai découvert la diversité du cinéma d’animation en allant au festival d’Annecy pendant un voyage scolaire. Voir tous ces courts métrages d’auteurs fut la révélation. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque c’était les débuts d’Internet et on n’avait pas accès à de telles œuvres aussi aisément qu’aujourd’hui. Les seules animations qu’on voyait étaient les films des majors ou des séries TV du club Dorothée.

 

Une histoire Vertébrale, 1er court métrage de Jérémy CLAPIN

Ensuite j’ai écrit et réalisé un premier court métrage « Une histoire Vertébrale » sorti en 2004, puis « Skhizein » en 2008 qui a connu un énorme succès en festivals. J’ai rejoint Papy3D Productions en tant qu’associé et j’y ai réalisé « Palmipedarium » en 2012.
C’est à cette période que Marc du Pontavice, le président de Xilam animation me propose de réaliser mon premier long métrage « J’ai perdu mon corps » tiré du livre « Happy Hand » de Guillaume Laurant. 

Q : Skhizein est donc ton second court métrage. Peux-tu nous dire dans quel contexte il a été réalisé ?  

J : Le film, produit par DARK PRINCE, a mis du temps avant de trouver des financements. Le concept étrange – un homme à 91cm de lui-même – rendait l’écriture du script difficile à lire et peu de gens y croyait au début. Le CNC, puis Arte ont été nos principaux soutiens.
Dans mes courts métrage, pour des raisons de budgets mais aussi parce que j’aime avoir la maîtrise technique de l’objet pour ne pas être limité, je suis très impliqué dans toutes les étapes de fabrication. L’écriture graphique de mes films est toujours organisée autour de l’outil et inversement bien-sûr, c’est très organique. J’essaie de ne pas me perdre dans des solutions techniques trop lourdes et je tends à l’efficacité avant tout.
Comme sur mon précédent court métrage « Histoire Vertébrale » j’ai travaillé quasi en binôme avec Jean-François Sarazin le directeur technique du film. C’est quelqu’un à qui je dois beaucoup car c’est à travers mon dialogue avec lui que j’ai appris la technique et que je me suis formé à ses côtés.

 

extrait de Skhizein

Nous avons obtenu un budget d’environ 90 000€. Ça peut paraître beaucoup mais en même temps pas grand-chose pour un film d’animation qui demande énormément de travail (on produit entre 2 et 4 secondes d’animation par jour par animateur…). L’équipe était donc nécessairement très réduite. Et comme sur « Histoire Vertébrale », j’ai travaillé avec le compositeur Nicolas Martin.

Q : Le public est toujours très impressionné par la durée de réalisation des films d’animations. Peux-tu nous donner quelques informations techniques sur l’animation utilisée dans ton film ?

J : La fabrication du film a duré environ 1 an. Une prodution partagée entre Lyon et Paris. J’animais les plans et je les envoyais à Jean-François Sarazin à Lyon. Il faisait le rendu et me renvoyait les images pour que je fasse le compositing. C’était un travail de titan, je bossais sur un ordinateur portable (ahahah) !

Le film est mélange de technique, de la 3D qui donne quelque chose de très réaliste au film et de la 2D qui amène une écriture plus graphique sur les personnages. Il y a aussi un peu de StopMotion qui vient bousculer un peu les codes de cet univers en y amenant des accidents.
On a utilisé le logiciel de 3D, 3Dsmax puis effectué le compositing sous After Effect. Les personnages étaient modélisés puis animés en 3D et c’est au compositing que je rajoutais les visages animés quant à eux en 2D.

Q : Comment t’es venue l’idée de cette histoire ? On sent que Shkizein est une “allégorie”, mais de quoi exactement ? Et surtout, pourquoi 91cm ?

L’idée est au départ uniquement graphique. Sur une page de mon carnet de croquis j’avais dessiné un homme assis mais sans la chaise que j’avais dessiné sur la page suivante. En faisant glisser les deux pages et avec le jeu des transparences, je pouvais faire glisser la chaise loin de lui. Ça donnait un personnage assis à côté de sa chaise. A côté de là où il devrait être.

 

extrait de Skhizein

Au-delà de ce jeu graphique j’ai commencé à réfléchir à la signification de cette distance. De ce qu’elle pouvait représenter et induire dans la vie du personnage. La dimension psychologique autour de la schizophrénie est venue à ce moment. J’ai essayé d’imaginer qu’est-ce qui pourrait propulser un personnage en dehors de lui-même. Il y avait un parallèle évident entre la violence de l’impact physique d’une météorite sur la surface de la Terre  et l’impact de la maladie sur le cerveau d’un individu. Dans les deux cas c’était dévastateur.

Pourquoi 91cm ? Il me fallait une distance précise, qui ne soit pas un chiffre rond, quelque chose qui soit à portée de main du personnage. 

Q : Comme dans tout bon film, la musique joue un rôle important dans l’ambiance du court métrage et les émotions qu’il communique. Comment as-tu travaillé avec le compositeur et à quel moment du processus de création est-il intervenu ?

J : Dans Skhizein je n’utilise pas la musique de manière illustrative, ou comme support à l’action. Je m’en sers pour amener le film ailleurs, pour propager une émotion. Nicolas MARTIN, mon compositeur, est intervenu très tôt, dès le storyboard. Je lui parle du film et de ce que j’imagine comme univers musical. Dans un deuxième temps je lui raconte plus précisément où et pourquoi j’aimerais voir de la musique. Il m’envoie plusieurs maquettes et déclinaisons du thème et je commence à les disposer pour rythmer mon animatique. Ce travail nous donne une base plus précise pour discuter de la suite et mes indications deviennent alors de plus en plus précises.

Q : Je demande généralement en fin d’article les projets à venir du réalisateur. Dans ton cas, l’actualité me semble assez évidente puisque ton premier long-métrage “J’ai perdu mon corps” est sorti en salle Mercredi. Malheureusement, je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir, mais il a rencontré un vrai succès en festival, pourrais-tu nous dire quelques mots sur ce film ? (Cette question est plus axée sur des éléments de “making of” du film, l’histoire de sa création, son écriture, sa recherche de financement, sa production et sa réception en festival. Et, si tu vois des liens à faire avec Skhizein c’est l’occasion d’en parler)

J :« J’ai perdu mon corps », c’est l’histoire d’une main coupée qui s’échappe du frigidaire d’une fac de médecine pour se lancer à la recherche de son corps. Pendant son parcours semé d’embûches à travers la ville (l’histoire se passe à Paris), on va revivre par l’intermédiaire de flashbacks sa vie commune avec Naoufel, l’être auquel elle appartenait.

 

J’ai perdu mon Corps, 1er long métrage de Jérémy CLAPIN

A travers ce dispositif assez fou, le film aborde des thématiques universelles. C’est un film qui parle de l’enfance, du deuil. De toutes ces choses que la vie nous retire et qui nous font nous sentir incomplet.  Mais aussi de notre capacité de résilience, de cette énergie que l’on doit déployer pour aller de l’avant, pour devenir une meilleure version de nous-même. Le point commun avec Skhizein c’est la thématique du corps et le fait de trouver sa place dans le monde. 

Le film est né de ma rencontre avec mon producteur Marc du Pontavice en 2011 où il me propose d’adapter le livre « Happy Hand » de Guillaume LAURANT (co-scénariste d’Amélie Poulain). Le projet a été très difficile à monter. Si aujourd’hui la reconnaissance et le succès sont là – Grand Prix à la Semaine de la critique à Cannes, Prix du jury et du public à Annecy et à Colcoa, achat des droits du film par Netflix – à l’époque personne ne voulait nous suivre sur un sujet aussi atypique et on s’est retrouvé bien seul. L’écriture du script qui s’est étalée sur de nombreuses années nous a permis de beaucoup mûrir le projet et je remercie Guillaume LAURANT co-auteur de l’adaptation avec moi de m’avoir laissé le champ libre pour que je puisse y greffer mon univers.

 

Affiche de Skhizein de Jérémy CLAPIN

Pour aller plus loin :

  • Je vous invite à aller voir son premier court métrage, Une histoire vertébrale.Ce film est incroyable et mériterait lui aussi un article complet !
  • Bien entendu, foncez au Cinéma le plus proche de chez vous pour découvrir sur grand écran son premier long-métrage, J’ai perdu mon corps !
  • Si vous êtes aussi curieux, n’hésitez pas à lire le roman Happy Hand de Guillaume LAURANT, duquel est adapté le film J’ai perdu mon corps Jérémy CLAPIN

Q.